Le paysage technologique s’est transformé ces dernières années pour les étudiants de niveau postsecondaire et pour les professionnels travaillant dans l’enseignement postsecondaire. En effet, les caractéristiques et l’utilisation des technologies d’assistance évoluent rapidement. Des spécialistes en accessibilité et des chercheurs se sont récemment penchés sur le sujet, soit : Catherine S. Fichten (professeure agrégée au département de psychiatrie de l’Université McGill), Alice Havel (associée de recherche au Réseau de Recherche Adaptech), Marc Tremblay (PDG et fondateur de l’Agence SAT) et Rosie Arcuri (affiliée de recherche au Réseau de recherche Adaptech). Ensemble, ils ont publié un article portant sur les pratiques de l’accessibilité au niveau postsecondaire. Bien que l’article soit disponible uniquement en anglais, nous avons décidé d’en écrire un résumé en français.
Des changements dans la nature des handicaps et des déficiences
Il y a une vingtaine d’années, les incapacités les plus courantes chez les étudiants de niveau postsecondaire étaient les déficiences motrices, visuelles et auditives. Au Québec, seulement 1645 étudiants et étudiantes étaient inscrits pour recevoir des services liés aux incapacités de leur université. De nos jours, on en dénombre près de 20 000. Par ailleurs, dans cette recherche portant sur les pratiques de l’accessibilité au niveau postsecondaire, les incapacités et les troubles les plus couramment signalés par les étudiants et les étudiantes sont les incapacités liées à la santé mentale, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les troubles d’apprentissage spécifiques et les problèmes de santé chroniques. De plus, 50 % des étudiants et des étudiantes ont déclaré plus d’une incapacité.
Toutefois, même si l’on y retrouve près de 20 000 personnes qui se sont inscrites pour recevoir des services liés aux incapacités de leur université, et que 50 % d’étudiants et d’étudiantes ont déclaré plus d’une incapacité, plus de la moitié qui sont en situation de handicap ne s’inscrivent pas aux services de soutien aux personnes en situation de handicap de leur établissement d’enseignement postsecondaire. Il faut dire que les étudiants et les étudiantes ayant des handicaps non visibles sont moins susceptibles de s’inscrire aux services aux personnes handicapées que ceux et celles ayant des handicaps plus visibles.
Quels types de changement radical ?
Une plus grande ouverture à l’éducation inclusive entraîne un changement radical dans les environnements d’apprentissage numériques. Certaines technologies d’assistance qui étaient traditionnellement réservées aux étudiants et aux étudiantes en situation de handicap sont désormais disponibles pour tout le monde au niveau postsecondaire. L’un des exemples soulevés dans l’article scientifique est Antidote, un logiciel de correction grammaticale développé au Québec. Celui-ci n’était offert comme accommodement qu’aux personnes ayant des troubles d’apprentissage spécifiques inscrits auprès des services aux personnes en situation de handicap. Désormais, ce logiciel peut être acquis par tous les étudiants et les étudiantes, quel que soit leur handicap.
Il n’est donc plus obligatoire d’être inscrit dans des services aux personnes en situation de handicap pour utiliser les technologies d’assistance, car celles-ci sont de plus en plus intégrées dans les environnements éducatifs numériques traditionnels et au grand public. L’inclusion de fonctionnalités d’accessibilité est une tendance fondamentale qui modifiera profondément la notion de handicap elle-même et la nécessité d’utiliser des services désignés pour acquérir des technologies qui répondent aux besoins d’accessibilité des étudiants et des étudiantes ayant différents handicaps.
Le changement du coût des technologies d’assistance
Non seulement le coût des technologies d’assistance a diminué dans pratiquement tous les domaines, mais le mode d’acquisition des technologies d’assistance a également changé. Par exemple, au lieu d’une redevance unique avec des mises à jour de temps en temps, les technologies sont désormais disponibles pour un abonnement annuel ou mensuel. Cela signifie que le coût initial est plus abordable. Il est possible que ces baisses de prix soient également dues aux principes de l’offre et de la demande. De nombreux outils étaient autrefois fournis par un seul fournisseur (tels que le lecteur d’écran Jaws ou le logiciel de reconnaissance vocale Dragon). Il y a maintenant plus de concurrents, dont certains sont gratuits et/ou open source.
Des technologies utilisées par un public plus large
L’élargissement de l’accès aux technologies d’assistance à un public plus large a réduit le coût de développement de ces technologies. Initialement, de nombreuses technologies d’assistance étaient destinées à l’origine uniquement à des utilisateurs en situation de handicap. Aujourd’hui, celles-ci ont fini par devenir populaires auprès du grand public. Dans l’article scientifique, il est question de la technologie de la reconnaissance vocale. En effet, à l’origine, elle était utilisée par les personnes ayant un handicap moteur important, car elle leur permettait d’écrire, de faire fonctionner leur ordinateur, etc. La reconnaissance vocale est aujourd’hui utilisée dans des contextes variés : pour exécuter une commande sur un téléphone en conduisant une voiture, pour aider une personne ayant une mauvaise écriture à terminer un travail écrit, etc.
L’expansion des utilisations des technologies d’assistance, telles que les livres audio, la prédiction de mots et la dictée, augmente la demande. Par conséquent, elle a un impact sur l’offre. Les technologies d’assistance deviennent ainsi un marché intéressant pour les développeurs informatiques. Cet intérêt est accentué par le fait que les géants américains de la technologie, dont Google, Apple, Adobe, Facebook, Amazon, YouTube et Microsoft, s’impliquent de plus en plus. Parallèlement, de nouveaux utilisateurs pour lesquels ces technologies n’ont pas été spécifiquement développées émergent.
Des géants de la technologie offrent des fonctionnalités d’accessibilité
Plusieurs géants de la technologie ont intégré de puissantes fonctionnalités d’accessibilité intégrées. On y retrouve notamment Microsoft qui a progressivement fourni des fonctionnalités d’accessibilité intégrées pour le système d’exploitation Windows 10, ainsi que pour Microsoft 365. Une variété de fonctionnalités telles que la synthèse vocale, la dictée (parole en texte), la prédiction et l’agrandissement des mots, sont incluses. Ceux-ci peuvent notamment servir d’aides aux personnes en situation de handicap, ce qui leur évite souvent d’avoir à acheter des technologies d’assistance spécialisées. Les appareils mobiles disposent également de nombreuses fonctionnalités d’accessibilité intégrées. Depuis 2005, le lecteur d’écran VoiceOver est inclus dans tous les produits Apple. Dans le même ordre d’idées, Google progresse avec plusieurs fonctionnalités d’accessibilité intégrées à ses produits.
« La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal »
Depuis quelques années, les grands acteurs se livrent une guerre commerciale dans le domaine de l’accessibilité. Ils se rendent compte que rendre leurs produits plus accessibles leur offre la possibilité d’augmenter leur marché d’environ 15 % à 20 %. Ceci correspond non seulement aux utilisateurs en situation de handicap, mais aussi à une population vieillissante ayant des besoins d’accessibilité. La législation sur l’accessibilité a également augmenté dans plusieurs pays, ce qui a encore plus renforcé la tendance à proposer au grand public davantage de fonctionnalités d’accessibilité.
Les fonctionnalités d’accessibilité intégrées des grandes entreprises technologiques sont bien alignées sur les nouvelles approches de l’enseignement inclusif. Il existe une variété de vérificateurs d’accessibilité, des plug-ins qui permettent aux professeurs de générer des sous-titres ou des transcriptions pour les vidéos, ou de créer des documents PDF en un clic. Il existe aussi des scanneurs qui peuvent vérifier l’accessibilité des documents PDF sur un site Web. Ces technologies récentes favorisent de nouvelles pratiques de création de contenus plus compatibles avec les technologies désormais disponibles pour la plupart des systèmes d’exploitation. Ce sont des avancées importantes dans le domaine de l’accessibilité qui vont changer le portrait des environnements éducatifs numériques dans les années à venir.
Par ailleurs, la plupart des produits Microsoft 365 disposent de vérificateurs d’accessibilité. L’influence de Microsoft sur le marché de la technologie a exercé une certaine pression sur d’autres entreprises pour qu’elles proposent des solutions plus inclusives et accessibles. D’autres grandes entreprises technologiques, telles qu’Adobe et Google, ont aussi intégré une intelligence artificielle (IA) liée à l’accessibilité dans leurs suites.
Des applications et des appareils mobiles plus accessibles
Pratiquement tous les étudiants et les étudiantes de niveau postsecondaire, avec ou sans handicap, possèdent un téléphone intelligent. Les téléphones intelligents, les tablettes et les ordinateurs portables à écran tactile sont utilisés pour effectuer des travaux académiques, en classe et à la maison, en particulier par les personnes qui sont en situation de handicap.
Une caractéristique clé des appareils mobiles qui favorise la réussite scolaire est la portabilité. Les technologies d’assistance intégrées, ainsi que les logiciels et les applications qui fonctionnent sur tous les appareils et les plateformes, garantissent que de nombreuses personnes n’ont pas à payer pour des technologies d’assistance haut de gamme supplémentaires.
Les personnes en situation de handicap utilisent leurs appareils mobiles pour les mêmes raisons que les personnes qui ne le sont pas. Cependant, les élèves en situation de handicap utilisent surtout les fonctionnalités intégrées dans leurs appareils mobiles (ex. : modifier la taille de la police, utiliser la synthèse vocale et la prédiction de mots, etc.).
Les plateformes d’apprentissage et les sites Web éducatifs ont la capacité d’échanger des informations et de les rendre disponibles pour une utilisation à la fois sur un ordinateur et sur un appareil mobile. Cela peut être très pratique, car un étudiant ou une étudiante peut commencer une tâche sur son ordinateur et la terminer sur son appareil mobile grâce à différents logiciels multiplateformes (ex. : Asana, Dropbox, Google Calendar, etc.).
L’intelligence artificielle (IA) est le mot actuellement à la mode.
L’intelligence artificielle a fourni une percée majeure en permettant l’apprentissage individualisé dans les environnements éducatifs numériques. Il y a aussi le développement de produits d’IA qui soutiennent le bien-être des étudiants. Par exemple, deux collèges du Québec ont collaboré avec Optania pour développer un dialogueur (chatbot) d’IA en santé mentale du nom d’Ali, qui fonctionne en français. Ali est un robot conversationnel attentionné qui fonctionne en français et qui sert de passerelle pour l’orientation vers les services psychosociaux du collège. Il pose des questions aux étudiants et réagit en fonction de leurs réponses. Optania a également développé ISA (Interface de Suivi Numérique), une plateforme d’IA prédictive qui gère et analyse les données liées à la réussite des étudiants. Il fournit un profil d’étudiant en temps réel et permet une identification rapide des étudiants et des étudiantes à risque d’échec et de difficultés scolaires.
Dans le cas des assistants virtuels intelligents, selon la recherche scientifique, les élèves ne les utilisent pas fréquemment pour faire leurs travaux. Leurs principales utilisations sont pour les alertes de calendrier, la recherche sur Internet et la fonction de dictionnaire. Dans l’ensemble, le battage médiatique autour du potentiel des assistants virtuels ne s’est pas encore concrétisé.
Les leçons tirées de l’enseignement à distance pendant la pandémie de la COVID-19
La pandémie de COVID-19 a entraîné une recrudescence de la vidéoconférence. Elle a été la ressource d’urgence pour l’enseignement à distance, puis elle a été utilisée pour la communication entre les étudiants et les étudiantes, les collègues et les membres de la famille. Au Canada, Zoom et Microsoft Teams sont actuellement les outils de vidéoconférence les plus populaires pour l’enseignement postsecondaire. Dans leurs versions en anglais, ceux-ci disposent de fonctionnalités de sous-titrage et de transcription en direct. Ces avancées technologiques majeures en matière de sous-titrage sont perceptibles depuis le début de la pandémie et sont très probablement là où les grands acteurs du numérique ont déployé leurs plus grands efforts pour être plus accessibles.
Ce que la vidéoconférence a récemment apporté
La diffusion vidéo en temps réel des cours magistraux a rendu l’éducation accessible aux étudiants et aux étudiantes qui ne peuvent pas assister aux cours en personne en raison de diverses maladies chroniques et de handicaps. Pendant la pandémie de la COVID-19, la diffusion vidéo en continu (streaming), via des plateformes telles que Zoom et Microsoft Teams, est devenue la norme pour de nombreuses personnes.
Récemment, il y a eu l’émergence d’un robot interactif télécommandé nommé Kubi. Celui-ci fonctionne avec un logiciel de visioconférence de l’institution d’enseignement et est conçu pour contenir une tablette intelligente pendant la diffusion vidéo en direct. Il diffère de l’équipement traditionnel installé à l’échelle d’une pièce, car il permet à un utilisateur étudiant de regarder autour de la salle de classe et d’interagir avec un enseignant, un petit groupe ou un étudiant individuel sans être physiquement présent. L’étudiant peut décider de ce qu’il voit en contrôlant à distance la caméra installée dans la tablette pour effectuer un panoramique de 300 degrés et une inclinaison de 90 degrés. Le robot Kubi est un outil informatique grand public, mais son potentiel en tant que technologie d’assistance est évident.
L’émergence des outils de collaboration
Les outils de collaboration pour les étudiants et les étudiantes ont davantage émergé avec le début de la pandémie de COVID-19. Google Docs propose notamment de nombreuses fonctionnalités d’accessibilité. Bien que Google Docs soit plus couramment utilisé pour collaborer, le logiciel Microsoft Word peut également être utilisé, en particulier lorsqu’il est combiné avec Microsoft OneDrive. Néanmoins, Discord est le logiciel le plus susceptible d’être utilisé par les étudiants et les étudiantes en ce qui a trait à la collaboration.
Implications et conclusions
Pour finir, il est important de se rappeler que plus de la moitié des étudiants et des étudiantes en situation de handicap ne s’inscrivent pas aux services aux personnes handicapées de leur établissement. La catégorisation des handicaps doit également être soigneusement étudiée, car ceux et celles ayant différents handicaps peuvent réagir de manière unique à la technologie mise à leur disposition. À l’origine, la recherche liée aux handicaps se concentrait uniquement sur la technologie adaptative. Cependant, cela n’est plus suffisant, car les étudiants et les étudiantes en situation de handicap ont de plus en plus accès aux technologies à usage général, ainsi qu’aux appareils mobiles.
Des géants de la technologie ont intégré de puissantes fonctionnalités d’accessibilité intégrées dans leurs produits. D’autres développeurs emboîtent le pas en exploitant également l’intelligence artificielle. La plus grande ouverture à la pédagogie inclusive entraîne également un changement radical dans l’environnement d’apprentissage numérique et la manière dont la technologie est utilisée dans et hors de la salle de classe. En appliquant un modèle de conception universelle, certaines technologies d’assistance qui étaient traditionnellement réservées aux étudiants et aux étudiantes en situation de handicap sont désormais disponibles pour tout le monde. Une partie de cette transformation a été provoquée par la pandémie de COVID-19 et la nécessité de passer à l’enseignement en ligne.
Bien que la pratique de l’accessibilité vienne parfois avant la recherche sur l’accessibilité, les développeurs de produits peuvent bénéficier des commentaires des utilisateurs afin qu’ils puissent continuer à rendre leurs produits universellement plus accessibles. Heureusement, le domaine de la technologie continue de progresser. Ceci est une très bonne nouvelle pour les étudiants et les étudiantes en situation de handicap, puisque les pratiques permettent de rendre les produits de plus en plus accessibles et utilisables par et pour tout le monde.