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Guillermo Robles contre Domino’s Pizza : L’accessibilité au centre d’une saga judiciaire

Une pizza avec des pepperonis représentant une personne handicapée

En 2016, un Américain du nom de Guillermo Robles souhaitait commander une pizza de la chaîne de restaurants Domino’s Pizza. Il tente de le faire via leur site Web, mais sans succès. Il faut savoir que Guillermo Robles est aveugle et il utilise un lecteur d’écran qui retranscrit par synthèse vocale ce qui est affiché sur l’écran de son ordinateur. Le problème est que le site Web de Domino’s Pizza n’est pas du tout accessible, ce qui fait que les personnes en situation de handicap qui utilisent un lecteur d’écran ne peuvent tout simplement pas le consulter ni naviguer dans l’entièreté du site.

Donc, Guillermo Robles décide de poursuivre Domino’s Pizza en justice, alléguant que l’entreprise contreviendrait à l’Americans with Disabilities Act (ADA), une loi qui protège les citoyens et les citoyennes contre les discriminations basées sur le handicap. Le 6 juin 2022, Domino’s Pizza a finalement conclu un accord avec Guillermo Robles. Après un long procès de 6 ans, il a enfin gagné son combat.

Écran de téléphone intelligent prenant une photo d'une pizza
Source: Domino’s

Qu’est-ce que l’ADA ?

L’ADA, connue en français sous le nom de la loi sur les Américains avec handicap, est une loi qui a été adoptée par le Congrès des États-Unis en 1990. Les handicaps inclus dans l’ADA comprennent à la fois les conditions médicales mentales et physiques qui n’ont pas besoin d’être nécessairement graves ou permanentes. En termes d’impacts, cette loi a conduit à des améliorations significatives en termes d’accès aux services publics, d’accessibilité dans l’environnement bâti et de compréhension sociétale du handicap.

Au cours des années suivantes, l’ADA est devenue à l’échelle mondiale un modèle juridique pour faciliter une meilleure intégration des personnes en situation de handicap dans la société. En plus de ses différents avantages, elle a surtout interdit la discrimination sur la base du handicap dans le domaine de l’emploi ou dans l’octroi de logements publics. En 2008, le Congrès a adopté une première modification de cette loi (ADA Amendments Act), partiellement afin d’éviter que certains tribunaux ne définissent le terme « handicap » de manière excessivement étroite. L’amendement a élargi la définition de « handicap », ce qui a permis d’étendre les protections de l’ADA à un plus grand nombre de personnes.

Cette poursuite a révolutionné le design Web

Au cours du procès, Guillermo Robles a mentionné plusieurs obstacles à l’accessibilité spécifiques, dont l’absence de texte alternatif pour les images, des hyperliens vides sans texte pour identifier le but du lien, ainsi que des liens redondants pointant vers la même adresse URL.

L’affaire a été déposée en 2016. Toutefois, elle a eu des implications considérables pour le paysage de l’accessibilité numérique. Domino’s Pizza a fait valoir que l’ADA ne peut pas s’appliquer aux sites Web, car le ministère de la Justice ne maintenait pas de normes techniques spécifiques pour le contenu Web. La chaîne de restaurants a soutenu que l’absence de normes violait les droits à une procédure régulière. De plus, Domino’s Pizza a fait valoir que les normes du WCAG n’étaient pas requises par l’ADA et qu’elles ne s’appliquent pas à l’affaire.

Un tribunal de district a rejeté l’affaire. Il a été estimé que l’ADA devait s’appliquer aux sites Web et que Domino’s Pizza devait rendre le contenu de son site Web accessible. Pour eux, un site Web est comme un lieu physique qui doit être accessible par tout le monde. Comme les restaurants physiques, le site Web de tous les restaurants, incluant ceux de Domino’s Pizza, se doit d’être accessible aux personnes en situation de handicap. Toutes les entreprises américaines doivent donc modifier leurs sites Web, sous peine d’être prises avec une avalanche de procès et de devoir payer des millions de dollars.

Se battre contre l’ADA est une erreur monumentale

Dans les faits, la décision de Domino’s Pizza de lutter dans un procès contre la résolution des problèmes d’accessibilité de leur site Web a été considéré par plusieurs comme étant une décision insensée et irresponsable. Ils ont dépensé des millions de dollars dans leur lutte et se sont positionnés contre une loi qui combat les discriminations. Ceci a donc peut-être considérablement endommagé leur marque.

Même si tous les détails de la poursuite ne sont pas connus, une requête en jugement sommaire de 2021 a conclu que Guillermo Robles a eu droit à 4 000 $ de dommages-intérêts légaux en vertu de la California’s Unruh Civil Rights Act (soit la loi relative aux droits civils).

Un bon nombre des problèmes cités dans le procès initial étaient des obstacles à l’accessibilité du Web assez courants (images sans textes alternatifs, hyperliens vides et liens redondants). Résoudre ces problèmes aurait nécessité une mise à jour du site Web et de l’application mobile de Domino’s Pizza. Mais, apporter les modifications allait permettre à beaucoup plus de consommateurs d’avoir accès au site Web et à l’application mobile.

Chaque entreprise a la responsabilité d’offrir des services accessibles

Au fur et à mesure que le corpus de lois entourant l’accessibilité numérique s’est élargi, les obligations des organisations et des entreprises sont devenues plus faciles à comprendre. Elles doivent s’adapter aux capacités et aux attentes de leurs clients en maintenant la conformité aux dernières normes WCAG. En effet, suivre les différentes directives des WCAG reste la meilleure méthode pour garantir la conformité avec l’ADA et d’autres lois similaires, même si ces lois ne donnent pas de directives explicites sur la manière de rendre les sites Web accessibles.

À la suite de la victoire de Guillermo Robles contre Domino’s Pizza en 2019, beaucoup de compagnies ont décidé de rendre leurs sites Web accessibles pour éviter des procès. Par ailleurs, avant même cette victoire, il y a eu une explosion de poursuites similaires. D’après le site Usablenet, le nombre d’actions en justice à ce sujet est passé de 814 en 2017 à 2285 en 2018. L’une des raisons est qu’il semble y avoir un progrès insuffisant vers l’accessibilité, alors que même la communauté des personnes en situation de handicap s’appuie de plus en plus sur le Web pour les transactions quotidiennes.

Les personnes en situation de handicap pourraient être empêchées de bénéficier d’une part substantielle de l’économie si les entreprises maintiennent des sites Web qui ne leur sont pas accessibles. De telles poursuites représentent une expansion potentielle majeure de la loi lorsqu’elles cherchent à étendre l’autorité de l’ADA dans l’espace numérique, où les entités peuvent ne pas disposer d’installations physiques réelles qui sont tenues de se conformer.

Dessin de personnes dans un cour de justice
Source: 3 Play Media

Qu’en est-il de l’accessibilité au Québec ?

L’accessibilité du Web est une pratique inclusive qui consiste à garantir à tous les utilisateurs et à toutes les utilisatrices un accès égal à l’information sur les plateformes numériques (sites Web, applications mobiles, documents numériques, etc.). Depuis que l’ADA a été promulgué, elle constitue un excellent outil pour les personnes en situation de handicap qui souhaitent faire valoir leurs droits.

Le Québec comporte aussi quelques lois et standards sur l’accessibilité. D’abord, en 1978, le gouvernement a adopté une loi qui assure l’exercice des droits des personnes handicapées. Elle repose sur une implication accrue de tous et de toutes pour favoriser l’intégration sociale des personnes en situation de handicap. De plus, des règles ont également été adoptées en ce qui a trait au contenu numérique, où les sites Web des organismes publics du Québec doivent respecter certains standards d’accessibilité, dont le SGQRI 008 2.0.

Par ailleurs, l’accessibilité aux bâtiments pour les personnes en situation de handicap est un élément important au Québec. La Loi sur le bâtiment comporte un code de construction qui peut contenir des normes concernant l’accessibilité aux bâtiments ou aux équipements destinés à l’usage du public.

Malgré tout ça, énormément de sites Web québécois ne sont pas accessibles. Le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM) a analysé près de 1000 sites Web québécois en 2019. Il a été démontré que seulement 20 % des sites Web évalués atteignent une cote passable d’accessibilité. En d’autres mots, beaucoup de compagnies ne prennent pas suffisamment en considération les règles d’accessibilité lors de la conception ou de la mise à jour de leurs sites Web.

Est-ce que les entreprises du Québec et du Canada peuvent échapper à une telle loi ?

Depuis des années, de nombreuses personnes se plaignaient des problèmes d’accessibilité rencontrés en ligne. Pourtant, selon des statistiques obtenues en 2017 par l’Institut de la statistique du Québec, plus d’un million de personnes, soit 16,1 % de la population du Québec âgée de 15 ans et plus, vivaient avec une incapacité. Au Québec, il est possible qu’une personne en situation de handicap décide de poursuivre une compagnie si son site Web ou son application mobile n’est pas accessible.

Pour ces personnes, être en mesure de participer à la société au même titre que leurs concitoyens est un droit fondamental. Le Canada et plusieurs provinces se sont dotés de plusieurs lois sur l’accessibilité afin de protéger et de faire respecter ces droits. La Charte canadienne des droits et libertés garantit à tous les Canadiens et les Canadiennes une protection égale devant la loi. La discrimination envers des groupes spécifiques, dont les personnes ayant un handicap mental ou physique, est complètement interdite.

Il y a aussi la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui est entrée en vigueur en 2019. Elle a comme objectif de faire du Canada un pays exempt d’obstacles d’ici 2040 en reconnaissant, en éliminant et en prévenant les obstacles, incluant dans les bâtiments et les espaces publics, les transports, ainsi que les technologies de l’information et des communications.

Ce faisant, une personne en situation de handicap qui est incapable de naviguer librement sur un site Web pourrait faire comme Guillermo Robles dans sa poursuite contre Domino’s Pizza, soit poursuivre la compagnie pour atteinte à ses droits fondamentaux prévus selon la Charte canadienne. En effet, la justice québécoise et canadienne pourrait conclure que le manque d’accessibilité des sites Web peut constituer une violation selon des lois spécifiques et selon la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce que l’avenir nous réserve

En allant de l’avant avec l’accessibilité du Web, les entreprises créent les bases d’une image de marque positive. Les personnes en situation de handicap qui ont des interactions positives avec une entreprise (incluant sur Internet) sont plus susceptibles de la recommander à leur famille et à leurs amis, ainsi que sur les réseaux sociaux.

L’accessibilité à tout ce qui se trouve sur Internet et dans la vie de tous les jours doit être un droit fondamental pour tous les individus. Déjà en Ontario, avec la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario, beaucoup d’entreprises ontariennes devaient vite montrer que leurs sites Web étaient conformes aux nouvelles normes les rendant plus accessibles. Dans le cas contraire, elles pouvaient s’exposer à des amendes pouvant atteindre 100 000 $.

C’est pourquoi il est important d’éviter d’attendre que des lois entrent en vigueur avant de faire les changements requis pour les espaces physiques et numériques. Dans le cas de l’accessibilité numérique, le Web Content Accessibility Guidelines (WCAG) couvre un large éventail de recommandations pour rendre le contenu Web plus accessible. Le respect de ces directives permet de rendre le contenu accessible à un plus large éventail d’utilisateurs. Il s’agit donc d’un pas important vers une accessibilité universelle des environnements numériques qui devrait être entrepris pour tous les sites Web du Québec et du Canada. Pour rappel, il est bien plus facile de rendre un site Web accessible que de se battre lors d’un procès.

Sources :

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